Chimie de Rouelle

Point de vue sue l'Alchimie


DE L'ALCHIMIE

L'alchimie ou la chimie par excellence ne s'occupe que des transmutations, c'est-a-dire des moyens de convertir les métaux imparfaits en or ou en argent ou de faire ces métaux avec des matériaux différents. Le commun des physiciens doutent de la vérité des principes de cette science, mais ne peuvent pas être juges dans une matière qui leur est entièrement inconnue. Les plus savants d'entre les chimistes, ceux même qui n'ont pas possédé ces principes, ne les révoquent pas en doute : leur témoignage est d'un trop grand poids pour ne pas nous obliger a suspendre notre jugement et nous empêcher de prononcer dans une question si épineuse. Il y a deux sortes d 'alchimistes : les uns ont réellement travaillé à la transmutation des métaux : les autres ne sont que des extracteurs . ainsi appelés parce qu'ils ne font qu'extraire I'Or qui est dans les autres substances métalliques, et comme ils tiraient plus d'or d 'une mine que les minéralogistes ordinaires , on a cru qu'ils faisaient l'Or. Les anciens chimistes ont pensé que le règne minéral était dans un progrès continuel et qu'il passait par différentes nuances jusqu'a ce qu'il fût devenu de I'or. Ils se fondaient sur ce que 1'on ne trouve jamais de fer. ni de cuivre sans or, ni des métaux blancs sans argent : l'argent lui-même contient un peu d'Or. Si ce sentiment était vrai, les transmutations ne seraient qu'une véritable maturation. Les alchimistes ont distingué deux sortes de transmutations : une particulière qu'ils appelaient aussi le Particulier et une générale ou le Grand OEuvre. La transmutation particulière n'est qu'une extraction des différentes parties des minéraux et des métaux en une nouvelle combinaison de ces mêmes parties pour les convertir en or ou en argent.

On a suivi différents procédés pour ces transmutations particulières . Le plus simple de tous est celui que l'on fait pour métamorphoser le plomb en argent. Qu'on prenne du plomb, qu'on le réduise en litharge au fourneau de coupelle, qu'on le réduise , qu'on le vitrifie de nouveau, ainsi successivement jusqu'à ce que tout le plomb soit détruit, On trouve à chaque nouvelle vitrification une petite partie d'argent Micula Argenti qui certainement n'existait pas dans le plomb et qui par conséquent a été produite.
On a donné le nom de maturation à l'opération par laquelle on parvient , en mêlant de l'argent bien pur avec d'autres matières qu'on a reconnues par toutes sortes d'épreuves ne pas contenir d'or, quand on parvient, dis-je , à en retirer de l'Or et que l'argent diminue à proportion, on donne le nom de fixation à l'opération par laquelle on dispose les Safrans de Mars et de Venus, deux substances solaires, a une nouvelle mixtion solaire ou combinaison orifique , lorsqu'on peut faire cette opération par un travail perpétuel au continue en employant une partie des mêmes matériaux. on lui a donne le nom de Minera Perpetua auruma et argentum fundens. De ce genre est le Minera aurenaria Perpetua de Becher.) M. Rouelle est très persuadé que ce savant chimiste avait le secret des transmutations , quoiqu'il n'ait donné qu'une partie de son procédé. II vitrifiait en grand des sables et du plomb . Il y ajoutait de l'argent qui restait en fusion pendant tout le temps de la vitrification. II séparait ensuite l'or et l'argent par le départ. La perpétuité de ce travail consistait à refondre toujours le même argent jusqu'à ce qu'iI y eut assez d'or pour en faire le départ . L'argent augmentait lui-même, il réduisait aussi le verre de plomb et en ajoutait de nouveau pour le faire vitrifier avec de nouveaux sables.
Becher s'était réservé l'essentiel de son procédé qui était d'introduire des safrans de Mars et de Venus dans la vitrification, ce qui doublait et triplait le produit de 1'0r. Le grand point de ce procédé qui réussit beaucoup mieux en petit qu'en grand est de donner la plus grande fluidité a la matière vitreuse à fin que l'on puisse bien s'en séparer, Le sable fait la matière du verre, le plomb sert de fondant et l'argent fait un bain très propre à recevoir les petites particules d'or qui nagent dans la matière pultacée et qui viennent y faire immersion. II parait que dans ce procédé la terre vitrescible qui se trouve abondamment dans le plomb, jointe à quelques parties que fournissent les pierres et les sables, fait une véritable combinaison semblable a celle de I'or. en un mot de l'Or. On a objecté à Becher que I'Or qu'il retirait dans son procédé était contenu dans le sable . Pour y répondre, il s'est servi de sable qui ne charriait point d'or et dans lequel il n'était pas permis d'en soupçonner.
Outre ce procédé par la voie sèche. on peut encore faire des transmutations par la voie humide en employant les eaux régales graduées, Il y a des chimistes qui ayant traité le cuivre et le plomb avec du soufre en ont retiré de l'or. On peut conclure de tout ce que nous venons de dire ci-dessus qu'il y a une véritable transmutation qui est une combinaison des principes métalliques. On connait le principe inflammable et le principe vitrescible ; si l'on connaissait de même le principe mercuriel. on parviendrait peut-être plus aisément à imiter la combinaison de 1'0r. C'est mal raisonner que de conclure de ce qu'il nous est impossible de reproduire un végétal ou un animal. qu'il est impossible de reproduire une substance métallique sans organisation et sans vie.

Sur l'Alchimie , l'opinion de Rouelle est intéressante car elle se situe quelques années avant l'ère des Coupeurs de Têtes. Vous noterez avec quelle intelligence Rouelle déduit des faits.

Passons maintenant aux transmutations générales qu'on a appelées Grands OEuvres. Elles s'opèrent selon tous les chimistes par une teinture ou un elixir orifique qu'on a nommé aussi Pierre philosophale. Voci la peinture que les adeptes font de leur élixir : ils disent quc c'est une substance fixe, très pesante, tres fusible et comme incérée. Elle est en masse rouge comme un rubis transparent et fragile commc du verre : réduite en poudre elle a la couleur de safran. La question est de savoir si une petite quantité de cette matière est capable de transmuer une grande masse de métal imparfait et de la convertir en or ou en argent. Les plus sensés et les plus savants des chimistes l'ont cru, les ignorants et les gens peu instruits l'ont nié. VanheImont , Borrichius, Becher , Helvetius , l'empereur Ferdinand III ont vu des transmutations par la Pierre philosophale. On ne saurait révoquer leur témoignage en doute, et il n'est pas croyable qu'on ait pu les tromper. M. de Laos, ambassadeur de Pologne a la Cour de France {le même fait a été affirmé à M. le comte de Lauraguais par M. Kimpanson ), a assuré à M. Rouelle qu'il avait vu une semblable transmutation et qu'il l'avait répétée lui-même en présence du roi Auguste de Pologne, père du roi d'aujourd'hui. La poudre de projection avait été apportée par un garçon apothicaire de Berlin qui la tenait d'un vieillard . C'est ce même garcon qui a établi la Manufacture de Porcelaine de Leipzig. M. Rouelle pense que la Pierre philosophale n 'est autre chose que le résultat d'une fermentation de l'or avec le mercure. Non pas le mercure ordinaire, mais un mercure particulier surchargé de phlogistique. II croit aussi que, lorsqu'elle est bien faite, elle est lumineuse, et que c'est le vrai Phosphore d'Isaac le Hollandais et de Boyle. Cette matiere est dans un état actuel de fermentation. EIle fermente Ies matieres avec lesquelles on la mêle et les change en or comme le levain change la pâte en pain, de sorte qu'il est très persuadé que dans cette opération il y a la production d'un être nouveau. Ainsi, selon lui , la Pierre philosophale est une substance metallique très pure qui , étant ajoutée aux métaux imparfaits, leur donne un mouvement par lequel les parties les plus pures se séparent de celles qui le sont moins et qui s'évaporent en fumée ou se convertissent en scories , ce qui s'accorde particulièrement bien avec tout ce que les adeptes ont dit de leur opération. Ils prétendent qu'il s'élève des vapeurs et qu'il se sépare des scories. Plus le métal sur lequel ils opèrent est pur, plus tôt la transmutation est faite, moins il s'en perd. Aussi préféraient-ils Ies métaux les plus purs, surtout les métaux mercuriels et le Mercure en particulier, qui est, de tous Ies métaux, celui qui approche le plus de l'or par son poids. La Pierre philosophale doit être fusible comme de la cire, parcc que, s'il fallait beaucoup de feu pour la fondre, le Mercure se serait dissipé avant qu'elle fût en fusion. Quelques disciples de Vanhelmont ont prétendu que ce Grand homme avait le secret de la Pierre philosophale : mais outre qu'il avoue en plusieurs endroits de ses ouvrages qu'il n'a jamais pu reussir à la faire, le Philalete a démontré qu'il n'était pas possible qu'il y reussisse ayant employé dans toutes ses opérations l'Alkaest et qu'il prenait le Mercure des philosophes. Mais rien n'est plus opposé que ces deux êtres. L'Alkaest est un véritable destructeur des substances métalliques au lieu que le mercure des philosophes est un vrai générateur, la Pierre philosophale n'étant comme nous l'avons dit qu'une nouvelle génération. Les chimistes n'ont employé que trois ou quatre substances pour faire leur Pierre philosophale, il parait que l'or est la base de leur travail : c'est le seul qu'il croit capable d'éteindre. Ils ont encore un menstrue qui dissout l'or, l'ouvre et le prépare à la fermentation. Ce dissolvant est Ie mercure. Non pas le mercure ordinaire, mais un Mercure particulier, ou du moins c'est le mercure purifié dans lequel on a introduit une terre solaire . Voyez les remarques sur le sublime corrosif. Une des propriétés de ce mercure, c'est de dissoudre l'or à partie égales et de chauffer la main dans laquelle on peut faire cette dissolution . Les chimistes prétendent que lorsque le mercure est resté à l'air il perd sa vertu. M. Rouelle croit que c'est parce qu'il a pris de l'eau, ce qui le rend impropre pour leurs travaux. La plus grande difficulté de ce travail consiste à préparer ce mercure. Les alchimistes ont enveloppé toute cette préparation de tant d'énigmes et d'emblèmes qu'il est presque impossible de la developper . Le philalete, par exemple , parait avoir purifié son mercure d'abord avec l'antimoine martial , et ensuite avec les Colombes de Diane. Les uns ont voulu que ce fût le nitre et le sel ammoniac, d'autres soutiennent qu'il fondait une partie de son régule avec deux parties d'argent , qu'ensuite on amalgamait cet alliage avec six parties de mercure. II broyait cet amalgame avec de l'eau. L'antimoine se dégageait sous la forme d'une poudre parce qu'il avait moins de rapport avec le mercure qu'avec l'argent, Lorsque tout l'antimoine était séparé. il distillait le reste de son amalgame à grand feu pour en retirer le mercure, refondait l'argent qui lui restait avec un nouveau régule en l'amalgamant avec ce même mercure. Ils ont prétendu qu'il répétait cette operation jusqu'a dix fois et que ces purifications étaient ce qu'on appelait ses Aigles. D'autres Interpretes. au lieu d'argent. ont voulu qu'il employat du cuivre et de l'Or. Ils ont tous fondé leurs prétentious sur ce qu'ils croyaicnt que le fer donnait un soufre solaire, ce qui les a d'autant mieux sédults que le Philalete a dit que, comme l'antimoine est la purification de l'Or et du mercure, il fallait purifier son mercure avec de l'antimoine. M. Rouelle prétend que toute la description que le Philalete a donnée de son mercurc n'est qu'une énigme que personne n'a entendue, et que toutes ces explications n'ont aucun fondement. Quai qu'il en soit, lorsque ce mercure a été préparé on l'unit au ferment. Les uns prétendent que c'est à 1'0r corporel; le Philalete dit que son mercure suffit, ce qui prouve que personne n'a entendu l'enigme de cet auteur. Le mercure dans le sens qu'on prend ordinairement ce mot, n'étant certainement pas suffisant. Lorsque ce mélange est fait , on procède à la coction. Pour cet effet, on le met dans un oeuf philosophique qu'on sceIle hermétiquement et qu'on laisse en digestion sur cet athanor à ce qu'il parait au degré de chaleur animale. Voici les phénomènes qui se présentent dans cette opération qui est extrêmement longue. Dans le commencement, la matière se gonfle et s'affaisse alternativement. EIle prend successivement differentes couleurs et enfin devient noire : la noirceur augmente et alors les adeptes disent que la matière est en putréfaction, ce qu'ils ont désigne par tout ce qui a du rapport à la putrefaction, mais principalement par la tête du corbeau, la mort des tombeaux, etc. Lorsque le noir, car il augmente sans cesse. a été porté au dernier terme, ils l'ont appele Nigrum Nigrius , Nigrornigrius et on nomme toute ce(tte) periode le règne de Saturne. Par suite de Ia coction, la matière prend différentes couleurs de gris, ce qu'ils ont appelé le Règne de Venus. Ensuite, elle devient blanche; ils lui donnent alors le nom de lait de Vierge et à toute la periode celui de Règne de la Lune. Enfin, après avoir passé les différentes nuances du jaune qui compose le Règne de Mars, cette matière devient rouge. Le Règne de Phebus arrive lorsque ce rouge est fixe en cette premiere partie de I'opératlon, dans ce qu'ils appellent une rotation : ils la répètent plusieurs fois, mais ils ne savent pas ( ...), parce qu'au-delà de la matiere pénètre le verre et s'échappe. A chaque rotation, ils remettent cette matière avec de nouveau mercure phiIosophique en le traitant de la même manière. A la première rotation ellc est capable de métamorphoser un peu de métal, mais elle n'est ni teignante ni incérée : à la troisieme, elle peut faire des transmutations sur toutes sortes de métaux, mais en petite quantité. Le noir et le blanc sont les signes du succès de l'opération : pour faire la Pierre au blanc on cuit avec de l'argent jusqu'à ce que la matière ait pris la couleur blanche, on s'arrête là, puis on recommence. Lorsqu'on la veut au rouge on cuit avec de l'or et on achève l'opération. L'or et l'argent avec lesquels on la met en digestion servent à la spécifier. Après cette opération, ils en font une dernière pour lui donner l'incération. Parce qu'il arrive quelquefois qu'elle vienne à nager à la surface du métal et ne s'y unit pas. Cette operation consiste à tenir la Pierre philosophale en fusion avec de l'or et de l'argent, selon que la pierre est au rouge ou au blanc pendant 9 fois 24 heures. Ils ne faisaient pas leur projection indifféremment sur toutes sortes de métaux. La Pierre philosophale transmue à la vérité tous les métaux . mais ces métaux donnent plus ou moins selon qu'ils contiennent plus au moins de mercure car ils pensaient que le mercure était un des principes des métaux. Voilà tout ce que M. Rouelle nous a dit sur les transmutations dont tant de personnes parlent sans connaissance. Quant à son sentiment particulier, quoiqu'il ne révoque point en doute le temoignage des grands hommes qui assurent avoir vu des transmutations, il voudrait en voir quelques-unes pour achever de détruire quelque doute qui lui reste encore. Mais il ne conseille à personne de tenter des travaux si dispendieux pour l'incertitude ou l'on est du succès faute d'avoir un guide sûr pour se conduire dans une opération qui ne s'est conservée que par tradition.


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